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Parution du webdocumentaire "Prévenir les risques de discriminations ethno-raciales dans le champ scolaire" - 2020

Le réseau RECI, le réseau de Ressources pour l'Egalité des Chances et l’Intégration, dont l’IREV est membre, a organisé le 30 janvier 2020 un séminaire fermé dédié à la prévention des risques de discriminations ethno-raciales dans le champ scolaire. Un webdocumentaire qui reprend l'essentiel des apports et des échanges est paru.

Le champ scolaire, comme d’autres domaines de la vie quotidienne (emploi, logement, santé) est le lieu de pratiques discriminatoires. Pour expliquer ce phénomène, les chercheurs mettent en avant le caractère systémique et bien souvent inconscient des pratiques professionnelles.

Ce séminaire a réuni des chercheurs, des professionnels du champ éducatif et de la prévention et de la lutte contre les discriminations afin d'aborder les discriminnations ethno-raciales dans le champ scolaire et de partager des retours d'expériences et des solutions pour lutter contre les phénoménes de discriminations.

 

  • Barbara Fouquet-Chauprade, sociologue de l’éducation, maître d’enseignement et de recherche à la faculté de Psychologie et des Sciences de l’Education à l’Université de Genève. Ses travaux portent sur l’analyse des politiques scolaires en Suisse et en France.
  • Comlan AZANNE, principal du collège Jean LEBAS à Roubaix
  • Johanna DAGORN, sociologue, université de Bordeaux, Laboratoire LACES, co-directrice des cahiers de la LCD, chercheuse associée à l’université de Bordeaux
  • Marie-Christine DEBENEDETTI, chargée de mission Lutte contre les discriminations, ville de Villeurbanne
  • Odile DELHAYE, directrice déléguée à la formation professionnelle et technologique du lycée Viviani d’Epinal (88)
  • Vincent LENA, coordonnateur national du programme des cités éducatives, ANCT
  • Laurence UKROPINA, coordonnatrice du pôle égalité, Rectorat de l’académie de Metz Nancy

 

Ce webdocumentaire vous presente l'essentiel de cette journée et des apports diffusés. 

Les discriminations ethno-raciales au sein du système scolaire : état des lieux, mécanismes de production, et de reproduction et pistes de réflexion

L’emploi des termes de « discriminations ethno-raciales » est globalement tabou dans la sphère publique et il est apparu tardivement dans la recherche, à la fin des années 1990. Parler de discriminations ethno-raciales à l’école s’avère d’autant plus complexe que l’école est perçue comme le lieu de l’égalité des chances pour tous les élèves, et qu’elle est par principe non-raciste et non-discriminante. Pourtant Barbara Fouquet-Chauprade pointe plusieurs constats, issus du rapport CNESCO (Conseil national d'évaluation du système scolaire), pour attester de l’existence de discriminations ethno-raciales dans le champ scolaire français :

  • Près de la moitié des jeunes de seconde génération issus de la migration vont présenter des difficultés scolaires sévères
  • Leurs performances scolaires sont de moins en moins liées à leur origine sociale et à l’éducation des parents, et par conséquent, de plus en plus liées au fait qu’ils soient issus de la migration
  • Il y a une sur-orientation de cette population dans les filières professionnelles, mais aussi dans l’enseignement spécialisé

Quelques définitions 

L’une des raisons qui rend difficile la libération de la parole autour des discriminations ethno-raciales dans le champ scolaire tient à la tendance à penser les discriminations comme étant uniquement des discriminations directes (c’est-à-dire avec une volonté explicite de discriminer).

Or, les discriminations qui se jouent dans le champ scolaire sont beaucoup plus diffuses et ne relèvent pas d’une volonté explicite de discriminer.

Pour Barbara Fouquet-Chaupadre : "Le traitement des élèves peut être considéré comme discriminatoire s’il affecte systématiquement, négativement, et de façon disproportionnée les personnes d’un groupe donné".

Elle définit ainsi deux autres formes de discriminations qui se jouent dans le champ scolaire :

  • La discrimination institutionnalisée : lorsque c’est l’organisation même de l’institution qui produit de la discrimination.
  • La discrimination systémique : c’est un processus qui met en jeu un système d’acteurs dans lequel personne ne manifeste directement l’intention discriminatoire, mais dont le résultat sera de produire une situation de discrimination. Il n’y a pas de volonté explicite de discriminer, c’est le cas des enseignants avec les élèves.

Pour étudier les discriminations il est également essentiel de prendre en compte le sentiment de discrimination chez les élèves.

Les mécanismes de production des discriminations ethno-raciales

Barbara Fouquet-Chauprade souligne que le processus de catégorisation est une activité sociale ordinaire, elle sert à simplifier la réalité sociale pour agir ou interagir. 

« Il y a un problème quand surviennent des biais de catégorisation. C’est-à-dire en simplifiant la réalité, on va distordre et on va attribuer à un groupe social déterminé, des caractéristiques globales à partir desquelles on ne voit plus de différences entre les individus. Ce mécanisme est très souvent inconscient ».

Barbara Fouquet-Chauprade, sociologue de l’éducation

 

La chercheuse milite pour une formation adaptée des enseignants pour être à même d’aborder les sujets de discriminations ethno-raciales avec leurs élèves. Il est également nécessaire que les enseignants soient formés à la gestion des émotions et qu’ils rentrent dans une approche de débat sur les questions sensibles avec leurs élèves, plutôt qu’une approche punitive.

Les inégalités scolaires liées à la migration : discontinuité culturelle ou discrimination systémique ?

Le concept de discontinuité culturelle renvoie à l’interprétation des inégalités au regard d’une distance entre les normes familiales, la socialisation familiale et les normes et valeurs scolaires.

« Dans ce cas l’école est pensée comme indifférente aux différences, et c’est bien parce que je vais donner le même enseignement à tout le monde, au-delà des spécificités, et des besoins, que je vais produire et reproduire les inégalités ».

Barbara Fouquet-Chauprade, sociologue de l’éducation

 

L’hypothèse de l’indifférence aux différences se fonde essentiellement sur le postulat selon lequel l’école républicaine serait en accord avec les valeurs d’égalité des chances qu’elle proclame. Or, le fonctionnement des institutions scolaires est loin de leur fonctionnement officiel.

Du point de vue des discriminations systémiques, les raisons vont porter sur le fait qu’il y a une inégalité de l’offre scolaire et que la dotation des établissements n’est pas la même en fonction des territoires, notamment selon les zones urbaines. C’est ce qu’on appelle « l’effet Matthieu » : on donne plus à ceux qui ont déjà plus. La discrimination systémique prend alors forme dans le fait qu’on ne propose pas aux descendants d’immigrés le même type de scolarisation que pour les élèves natifs.

Un constat que viennent renforcer les derniers résultats de l’enquête PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) :

  • Une aggravation du « handicap scolaire » des élèves migrants et issus de l’immigration en France
  • Un accroissement des inégalités sociales de compétences en compréhension de l’écrit, mathématique et sciences
  • Un accroissement des inégalités liées au parcours migratoires

Le handicap scolaire des élèves non-natifs s’explique moins aujourd’hui qu’hier par leur origine sociale ou leurs conditions de vie, et beaucoup plus par le seul fait d’être non-natifs de 1ère et surtout de 2ème génération.

La reconnaissance du phénomène de discriminations ethno-raciales

La question des discriminations ethno-raciales est complexe à aborder dans la communauté éducative. Il s'agit d'une question taboue et il manque de place dans la communauté enseignante pour réfléchir à ses pratiques.

Les enseignants prennent sans cesse des décisions, ils ont donc besoin de critères pour éviter que leurs gestes professionnels favorisent à leur insu l’émergence de stéréotypes. Il arrive que des professeurs conseillent à des élèves de 3ème qui ont pourtant de bons résultats de s'orienter vers une formation professionnelle. Un conseil qui part souvent d'une volonté des professeurs de protéger leurs élèves, mais qui de fait produit des discriminations en abaissant leurs ambitions professionnelles.

L’atténuation des rapports de domination : permettre le dialogue, rendre les phénomènes de discriminations visibles

Une recherche-action menée par le Labo LACES (Laboratoire Cultures, Education, Sociétés, de l'Université de Bordeaux) a permis de réaliser des enquêtes qualitatives auprès de classes de 4ème et interroge les élèves sur leur matière préférée, leurs notes dans les matières fondamentales, leurs vœux, leurs prénoms et la nationalité de leurs parents.

Ces questionnaires ont mis en exergue des problématiques assez complexes et notamment que les jeunes ont totalement intégrés l’existence des discriminations ainsi que le fait qu’ils devront s’y confronter. Ils n’imaginent pas pouvoir les faire disparaitre et imaginent donc des stratégies de contournement.

Cette enquête pointe la nécessite d’aider les élèves à se construire un argumentaire, elle souligne également qu'une meilleure écoute des élèves à ce propos aide l'institution scolaire à être plus égalitaire.

 

« Pour les élèves et les parents il y a le rapport d’autorité qui rend encore difficile à s’autoriser la contestation d’une décision prise par un enseignant. A un moment donné un élève peut être légitime à contester l’autorité du professeur », Johanna Dagornsociologue, université de Bordeaux, Laboratoire LACES, co-directrice des cahiers de la LCD, chercheuse associée à l’université de Bordeaux

 

Le seminaire invite à se poser la question des conditions d’écoute des situations d’injustices, d’inégalités et de discriminations, d’autant que la discrimination, s’inscrivant dans un rapport de domination, invisibilise la personne discriminée.

Le séminaire pointe l'utilité d'instaurer une symétrie dans le dialogue entre les parents et les professionnels, cette symétrie passe très concrètement, par exemple, par des réunions d’échange autour d’une même table. A cet effet, il est possible de mobiliser la notion de la coéducation comme un outil de lutte contre les discriminations qui permet de désanctuariser le professionnel et de désanctuariser l’école pour instaurer un dialogue.

Le portage institutionnel et politique, quelques expérimentations

Comment convaincre les enseignants de s’inscrire dans une démarche collective permettant à tous les acteurs de s’exprimer sur les discriminations ethno-raciales ?

La réponse à cette question s’avère d’autant plus complexe que leur existence n’est pas reconnue par tous. De plus ces discriminations sont socio-ethno-genrées puisqu’elles touchent plus particulièrement les garçons descendants d’immigrés, cela nécessite donc une prise en compte particulière.

Il est nécessaire alors que ces questions fassent l’objet d’un portage politique pour être véritablement saisies par l’action publique.

A ce titre, l’expérimentation en cours menée par la ville de Villeurbanne grâce au Fond d’expérimentation pour la jeunesse 2019-2021 est éclairante. Elle vise à identifier, prévenir et lutter contre les inégalités et les discriminations multifactorielles et croisées (catégorie socio-professionnelle, origine et sexe) à l’orientation scolaire de fin de 3ème en mobilisant les parties prenantes : les collèges publics, les services d’orientation scolaire dont le CIO, les jeunes, les parents d’élèves et les partenaires de l’accompagnement scolaire.

Au sein de l'académie Metz-Nancy, un projet européen sur les questions de discriminations à l'accès au stage des jeunes issus de l'immigration a été mis en place. Concrètement, cela s'est traduit par un diagnostic qualitatif validé par le recteur d'académie et mené dans différents espaces de l'académie. Un groupe de personnes ressources spécifiquement formées aux discriminations ethno-raciales, puis aux autres formes de discriminations, a été créé. Ce temps de formation a permi d'enclencher un travail sur les craintes et les malaises que cette question pouvait susciter, ce groupe s'est également penché sur l'analyse de ses propres pratiques. Leur travail a permis de repositionner l'enseignant dans une posture professionnelle d'accompagnant. L'acquisition de cette posture professionnelle, reposant sur des compétences, a permis aux enseignants de s'éloigner des enjeux émotionnels suscité par le sujet des discriminations ethno-raciales et d'adopter des gestes professionnels grâce à la mise en place d'outils opérationnels. Il a été souligné l'utilité des échanges de pratiques et le dialogue entre personnels de direction, enseignants, acteurs des services sociaux et consillers d'orientation, pour trouver des leviers d'action.

La ville de Roubaix a également été associée dans une démarche de reflexion autour de la lutte contre les discriminations dans le cadre du label "cité éducative". Un travail a été mené sur les discriminations ethno-raciales, le genre et l'homophobie, des problématiques pregnantes à l'étape du collège. Cela s'est couplé d'une reflexion autour des stratégies d'évitement scolaire, particulièrement présentes à l'échelle du territoire, afin de tendre vers une plus grande mixité sociale dans les collèges roubaisiens. Cette expérience a permis de mettre en avant les cités éducatives comme un potentiel levier pour construire un collectif d’acteurs chargés d’accompagner les stratégies locales de lutte contre les discriminations, de les rendre visibles et de mobiliser la solidarité.

Conclusion du séminaire et pistes de réflexion

  • Les discriminations ethno-raciales sont protéiformes, et sont le résultat de mécanismes micro et macro-sociaux. La production et la co-production de discriminations ethno-raciales nécessitent un effort de reconnaissance de la part des acteurs
  • Une politique de lutte contre les discriminations doit s’attacher non seulement à ses formes directes mais également aux mécanismes indirects voire systémiques (interactions au sein des classes, pratiques pédagogiques des enseignants, que la façon dont les classes sont constituées)
  • Il est imporant de disposer d’un état des lieux, de dresser le bilan objectif des territoires sur les discriminations ethno-raciales
  • Faire le lien entre ségrégation et discrimination ethno-raciales
  • Il est possible de croiser la lutte contre les discriminations ethno-raciales dans le champ scolaire aux plan territoriaux de lutte contre les discriminations déclinés dans le cadre de la Politique de la ville.
  • Il existe un label Diversité piloté par l’Etat qui invite à former tous les personnels d’un même établissement de manière à rendre les discriminations visibles et à pouvoir envisager les solutions.

 

Pour aller plus loin

Le lien vers la page du webdocumentaire : Prévenir les risques de discriminations ethno-raciales dans le champ scolaire.

 

Séminaire "Prévenir les discriminations ethno-raciales dans le champ scolaire", 30/01/2020 - RECI

 

Synthèse du séminaire : Prévenir des discriminations ethno-raciales dans le champ scolaire

Benchmark : Lutter contre les ségrégations scolaires, ce que nous apprennent les expériences nationales et internationales

Inégalités scolaires et politiques d'éducation : Comment l'école amplifie les inégalités sociales et migratoires ? CNESCO

Résultats 2018 du Programme International pour le Suivi des Acquis des élèves (PISA), cas français