Le 16 janvier 2025 a marqué le lancement du recensement national de l’Insee, avec une nouveauté qui n’est pas passée inaperçue : l’ajout d’une question facultative sur le lieu de naissance des parents. Présentée comme un outil pour mieux appréhender les inégalités sociales et les discriminations, cette initiative divise chercheurs, associations et syndicats.
L'IREv avait déjà consacré en 2021 un article sur les débat sur l'usage des statistiques ethniques et ethno-raciales.
Une avancée pour la recherche et la lutte contre les discriminations
Pour de nombreux chercheurs et spécialistes des inégalités, cette nouvelle donnée constitue un pas en avant.
Patrick Simon, socio-démographe à l’Institut National d’Études Démographiques (INED), souligne que cette information est déjà utilisée dans plusieurs enquêtes de la statistique publique, mais manque cruellement à grande échelle. « Elle nous permettrait de mieux comprendre les trajectoires des personnes d’origine immigrée et d’évaluer l’impact des discriminations dans des domaines clés tels que l’emploi, le logement ou l’éducation » (France Inter, 13 janvier 2025).
Solène Brun, sociologue et chercheuse au CNRS, abonde en ce sens : « La société est structurée selon des hiérarchies raciales et il faut qu’on se donne les moyens de les mesurer pour les transformer » (Mediapart, 15 janvier 2025). Selon elle, il est paradoxal d’exiger des preuves chiffrées sur les discriminations tout en empêchant la collecte des données nécessaires à leur démonstration.
Des craintes face à une possible dérive
Cependant, cette avancée statistique suscite des inquiétudes. Dans une tribune, plusieurs organisations syndicales (CGT, FSU, Solidaires) et associations (Ligue des droits de l’Homme, MRAP) ont exprimé leurs réserves, dénonçant un risque de classification ethnique qui pourrait être instrumentalisée à des fins discriminatoires (Tribune publiée le 14 janvier 2025). Elles redoutent notamment une utilisation détournée des données dans un climat politique marqué par des discours identitaires de plus en plus présents.
Ces craintes ne sont pas infondées : en France, les statistiques ethniques sont strictement encadrées et leur usage demeure un sujet sensible. La méfiance envers la collecte de telles informations repose sur une crainte historique.
Un débat au cœur des politiques publiques
Cette controverse reflète une question plus large : comment documenter les inégalités sans renforcer les assignations identitaires ? La Défenseure des droits, Claire Hédon, avait dès 2020 recommandé l’introduction de cette question, estimant qu’elle permettrait d’orienter des politiques publiques plus justes et mieux adaptées aux réalités territoriales (Rapport de la Défenseure des droits, 2020).
Si cette question reste facultative, elle s’inscrit dans une démarche internationale. De nombreux pays européens comme l’Allemagne, les Pays-Bas ou les pays scandinaves l’ont déjà intégrée à leurs enquêtes de recensement, sans pour autant créer de fichiers ethniques controversés.
Mesurer pour mieux agir
Au-delà des divergences, cette question soulève un enjeu central pour les politiques de lutte contre les discriminations : l’absence de données ne signifie pas l’absence de discriminations. Ne pas les mesurer revient à laisser perdurer des inégalités invisibles aux yeux des pouvoirs publics et de la société.
Comme l’explique Marine Haddad, chercheuse à l’Ined : « Il y a cette idée que si on mesure la différence, alors on légitime cette distinction. Mais, à l’inverse, ne pas la mesurer revient à croire que l’ignorance suffira à faire disparaître les discriminations » (Mediapart, 15 janvier 2025).
Le débat est donc loin d’être clos. Reste à voir si cette initiative permettra d’ouvrir la voie à une meilleure prise en compte des discriminations structurelles dans l’élaboration des politiques publiques, sans renforcer les clivages qu’elle cherche à combattre.
Revue de presse
- Localtis (14 janvier 2025): Recensement de la population : de nouvelles questions, dont une fait débat
- France Inter (13 janvier 2025) : "Grâce au recensement, on peut mieux connaître les situations de ségrégation", explique Patrick Simon (INED)
- Médiapart (15 janvier 2025): Recensement 2025 : saluée par la recherche, l’avancée de la statistique ethnique suscite des crispations
- France Info (16 janvier 2025): "Quel est le lieu de naissance de vos parents ?" : pourquoi cette question sera désormais posée lors du recensement