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Jeudi d’Acrimed : « La production des stéréotypes sur les quartiers populaires »

Les quartiers populaires sont l’objet d’une couverture médiatique le plus souvent stéréotypée et stigmatisante, jusqu’à susciter parfois, comme récemment à Grenoble, des réactions indignées et la mobilisation de leurs habitants pour faire reconnaître le tort porté à leur l’image et à celle de leur quartier. Comment se construisent ces représentations médiatiques d’une uniformité confondante, qui associent systématiquement banlieues des grandes villes et jeunesses populaires à la pauvreté, la délinquance et l’insécurité ?

Avec Jérôme Berthaut, sociologue, maître de conférences à l’université de Bourgogne, auteur de La banlieue du 20 heures. Ethnographie de la production d’un lieu commun journalistique, éditions Agone, septembre 2013, 430 p., 23 euros.

En guise de présentation du débat (par Acrimed)

Pourquoi les journalistes s’intéressent-ils davantage aux cités populaires comme des pourvoyeuses de faits divers plutôt que pour faire connaître la vie sociale et les initiatives culturelles ou économiques qui les animent ? Comment se fabrique un « sujet » télé sur « la banlieue » ? Qui détermine « l’angle » à travers lequel il sera traité, les intervenants qui seront interviewés ? De quelle marge de manœuvre le journaliste dispose-t-il vis-à-vis de sa hiérarchie ? Et finalement, par quel biais s’édifie une information sur « la banlieue » qui non seulement ne reflète pas la réalité, mais la met en scène, la tronque et la déforme ?

Ces questions font l’objet de l’ouvrage de Jérôme Berthaut qui s’appuie sur des observations ethnographiques effectuées au cours de « séjours » répétés au sein de la rédaction de France 2 et auprès des reporters en action et renouvellent profondément l’approche sociologique des pratiques journalistiques dont dépendent les représentations médiatiques des quartiers populaires, unifiés sous le vocable de « banlieue ». Il montre que l’image des quartiers populaires véhiculée par les médias dérive moins de positionnements idéologiques ou politiques préalables, que du fonctionnement ordinaire et des routines associées à l’organisation du travail dans les rédactions, mais aussi des rapports hiérarchiques en leur sein.

Après avoir décrit « la conversion d’une rédaction à la fait-diversification de l’actualité » (notamment sous l’effet différé de la privatisation de TF1), l’auteur montre ses conséquences en termes d’évolution des normes professionnelles, marquées par de nouvelles exigences, et notamment par « la conversion aux attitudes et aux points de vue des policiers ». On y découvre aussi les effets du recours routinisé à des intermédiaires dont dépend l’accès au « terrain ». « Garde du corps et guide journalistique », l’intermédiaire recueille des matériaux du reportage. L’épuisement progressif de leurs ressources expliquent (entre autres raisons) qu’ils ne suffisent pas à garantir l’accès au terrain. C’est pourquoi les rédactions ont recours à d’autres recrues : les « fixeurs ». Lesquels « préservent paradoxalement le reporter […] des interactions fortuites qui pourraient pourtant transformer son point de vue ». Or, si les présélections effectuées par les intermédiaires et les « fixeurs » constituent un premier filtrage, les reporters eux-mêmes en opèrent un deuxième, effectuant la « sélection et typification » des lieux et celles des habitants : un tri de décors et d’acteurs identifiables, conforté par celui des discours sollicités. De même, les journalistes imposent un cadrage préalable dans les entretiens, qui varie selon les interlocuteurs, selon qu’ils sont « installés », comme le sont par exemples des maires, ou « dominés », comme le sont particulièrement les « jeunes des cités ».

C’est à travers ces différents prismes que s’impose un « journalisme de raccourci », conforté lors de l’étape de finition des reportages au cours de laquelle « les moments d’écriture des textes, de choix des images et d’agencement de ces composantes offrent […] de nombreuses possibilités aux responsables de la rédaction pour contrôler et imposer les modèles du sujet “banlieue” ». S’exprime ainsi de manière particulièrement visible, dans cette phase de finalisation des reportages, leur dépendance à l’égard des représentations dominantes des quartiers populaires. Et si, en raison de leurs origines, de leur formation et de leurs expériences professionnelles antérieures, certains journalistes peuvent être rétifs à « endosser les standards sur la banlieue », leur contestation a « des effets limités sur les reportages… mais nocifs pour la carrière ». C’est en effet, « lors de l’écriture finale, que se construisent les places dans les rédactions »…

Acrimed
39 rue du Faubourg-Saint-Martin
75010 Paris

Téléphone : 09 52 86 52 91

Publié le 25 février 2014