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Enregistrement de la demande de logement social : un testing montre des inégalités

A l'initiative du Réseau RéEl et avec le soutien de la Fondation Abbé Pierre, une opération de testing inédite dans le logement social montre que le droit à l'information des demandeurs de logement social est peu respecté. Des discriminations ethno-raciales ont également été repérées.

Constatant des dysfonctionnements récurrents au niveau des guichets d’enregistrement de la demande de logement social, la Fondation Abbé Pierre, membre du  RéEL, a confié à deux  chercheurs en économie, Sylvain Chareyron et Yannick L'Horty, une mission de test par correspondance (dit testing) sur l’ensemble des guichets recensés au niveau national. Son objet était d’évaluer les potentielles discriminations à l’œuvre dans l’information délivrée à la personne qui souhaite enregistrer une demande de logement social.

Deux candidates fictives, dont les prénoms et noms suggèrent "pour l'une une origine française et pour l'autre une origine d'Afrique de l'Ouest", ont adressé des courriels à 1.875 bailleurs, soit près des deux tiers des guichets du pays. "Contrairement aux discriminations directes et intentionnelles à l’œuvre dans le parc privé, les discriminations dans l’accès au parc social sont plus difficiles à identifier car l’attribution d’un logement social fait l’objet d’une procédure administrative qui est encadrée juridiquement et qui fait intervenir plusieurs acteurs", explique la fondation, rappelant que "si la décision d’attribuer un logement social appartient, in fine, à l’organisme bailleur, cette décision marque l’aboutissement d’un processus de sélection souvent long et dont certaines étapes relèvent de compétences partagées avec d’autres acteurs".

Les guichets d’enregistrement de la demande ne sont donc que la première étape. Mais sont apparus intéressants à tester dans la mesure où la loi Alur de 2014 "a instauré des nouvelles obligations en matière d’accueil et d’information du demandeur de logement social". Il s'agissait donc de mettre à l'épreuve d'une part la qualité de l’information, d'autre part l’équité de traitement des demandeurs.

Faible taux de réponse, discriminations en raison de l'origine : des résultats inquiétants pour le service public

Seule la moitié des guichets ont répondu à la demande des candidates, un premier résultat qui inquiète sur la qualité de l'accès à l'information dans le service public.

Par ailleurs, seulement un quart des guichets (24,2%) "répondent positivement et de manière similaire aux demandes d'information des deux candidates". Parmi les guichets qui apportent des réponses aux deux candidates, "23,5% formulent des réponses différenciées à des demandes équivalentes" : une partie "oriente de façon différente les deux candidates, en défaveur de celle présumée d'origine africaine", d'autres "accompagnent plus intensément la candidate présumée d'origine française" et quelques-uns "ajoutent des informations démotivantes pour la candidate présumée d'origine africaine seulement". Des discriminations qui sont certes plus faibles que celles observées dans l’accès au parc locatif privé, mais qui ne peuvent qu’interroger l’ensemble des acteurs du service public censés garantir un droit à l’information consacré par la législation.

Sensibiliser et professionnaliser les guichets communaux pour limiter la ségrégation socio-spatiale

A noter, ces différences de traitement sont essentiellement " le fait des guichets gérés par les communes et non par les bailleurs sociaux". Enfin, "les discriminations se manifestent davantage dans les communes les plus favorisées par leur composition sociale et par leur situation économique, ainsi que par la tension du marché locatif local (zone tendue, soumise au rattrapage SRU, demande de logement social par attribution)". Dans la mesure où cela contribue à "orienter les demandeurs vers les localités les plus défavorisées et au taux de chômage élevé", cela "participe indirectement à la ségrégation socio-spatiale des quartiers", ajoute la fondation.

Prenant acte de ces dysfonctionnements majeurs, la Fondation Abbé Pierre et les associations du  RéEL proposent notamment de renforcer la sensibilisation de l'ensemble de la chaîne d'acteurs, la professionnalisation des acteurs des guichets d'enregistrement, en particulier des communes, et de travailler à des guides d'information harmonisés à l'échelle territoriale.

Le Réseau national Egalité Logement (RéEL) regroupe des associations engagées dans la lutte contre les discriminations dans le domaine du logement, entre autres : Association d’Aide au Logement des Jeunes (AILOJ, Villeurbanne, 69) ; Association Villeurbannaise pour le Droit au Logement (AVDL, Villeurbanne, 69) ; Association Habiter Enfin !  (Montpellier, 34) Fondation Abbé Pierre via son Agence Ile-de-France (Paris, 75) ; Association Droits et Habitats (Paris, 75)

Sources : Etude (ci-dessous) et Localtis, 21 mars 2023