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Janvier 2021 - Usage des statistiques ethniques et ethno-raciales et mesure des discriminations

Point sur les débats actuels autour de la production de statistiques ethno-raciales par la statistique publique.

La production ou non de statistiques ethno-raciales fait l'objet de débats dans la vie publique française depuis une quinzaine d'années. Ses opposants invoquent une atteinte à l'universalisme républicain, l'essentialisation des personnes à une catégorie unique, voire des dérives dans l'usage de ces statistiques. Pour ses défenseurs, la production de statistiques ethno-raciales est efficace afin de mieux lutter contre les discriminations et les inégalités dans divers plans de la vie sociale (logement, accès à l'emploi, aux services publics, à la santé...).

Définition

  • Les statistiques ethniques viennent collecter des informations précises sur le pays ou la culture d'origine d'un individu.
  • Les statistiques ethno-raciales reprennent cette première démarche et y ajoutent un facteur de « race », (ici entendue dans le sens d'une construction sociale, en tant qu'assignation reçue de l'extérieur). Il s'agit de l'assignation raciale qui s'appuie sur des caractéristiques phénotypiques, comme la forme des yeux, la couleur de peau ou les cheveux, auxquels peuvent s'ajouter des critères culturels, comme la religion.

Cadre légal

Les statistiques ethniques sont autorisées en France, mais sont très encadrées juridiquement.

Le cadre général est prévu par la loi n°78-17 du 6 janvier 1978, relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. Son article 6 interdit la collecte de données dites « sensibles », notamment celles relatives à l'origine ou à l'appartenance ethno-raciale réelle ou supposée des personnes.

Des exceptions sont cependant prévues à l'article 9 du règlement RGPD (Règlement général sur la production des données) du 27 avril 2016 qui indique :

Les traitements « à des fins de recherche scientifique ou historique ou à des fins statistiques sont autorisés » (article 89 paragraphe 1).

La production de ces données est strictement encadrée, elles doivent être :

  • Anonymisées et soumises au secret statistique;
  • être collectées de manière « loyale et licite » à des fins déterminées et explicitées par la Cnil (Commission nationale de l'informatique et des libertés);
  • elles doivent également être « adéquates, pertinentes et non excessives au regard des finalités » (article 39 du règlement RGPD);
  • les personnes sont libres de ne pas répondre ou de dire qu'elles ne savent pas.

La production de statistiques ethno-raciales est donc autorisée dans le cadre strict de la recherche. Par contre, l'introduction d'une variable de race et/ou de religion dans les fichiers administratifs est interdite.

Avant d'être autorisée, une enquête cherchant à produire des statistiques ethniques ou ethno-raciales doit faire l'objet de l'aval du Cnis (Conseil national de l'information statistique) dont le label est indispensable au lancement de l'enquête.

La production de ce type de statistiques est utile pour connaître la diversité de la population, mais aussi pour mesurer les inégalités, les discriminations et aider à la définition des politiques publiques.

Pour le chercheur François Héran : « La discrimination raciale n'est pas soluble dans l'inégalité sociale, elle s'y ajoute ». Le refus de l'utilisation de ces statistiques revient, pour certains chercheurs, à « invisibiliser la question de la 'race', celle-ci étant entendue comme une construction sociale, non pas comme une réalité biologique et culturelle ». 

Patrick Simon

Le tournant de l'enquête Trajectoires et Origines (TeO), 2008-2009

L'enquête Trajectoires et Origines, menée par l'Ined et l'Insee en 2008-2009, vise à appréhender :

« dans quelle mesure les origines, géographiques, nationales ou sociales sont susceptibles de modifier par elles-mêmes les chances d'accès aux principaux biens qui définissent la place de chacun dans la société : le logement, l'éducation, la maîtrise de la langue, l'emploi, les services publics et prestations sociales, la planification familiale, et la santé, les relations sociales, la nationalité, la citoyenneté ».

Elle repose sur un ensemble de questions qui abordent les différentes dimensions des origines et appartenances, avec des questions sur le ressenti d'appartenance, une question nouvelle dans la production statistique.

L'enquête pose ainsi des questions subjectives sur les injustices et les discriminations ressenties à divers plans de la vie sociale (logement, emploi, études). La personne enquêtée peut évoquer plusieurs raisons à ces injustices, comme l'origine nationale, le sexe, l'âge, l'orientation sexuelle, l'appartenance vraie ou supposée à une ethnie, l'enquête mentionne également l'origine des personnes ainsi que la couleur de peau.

L'enjeu est ensuite de croiser les données recueillies avec d'autres catégories de distinction dans la société, comme le genre, la classe sociale, l'âge, le quartier, la religion etc, afin d'« analyser les processus d'intégration, de discrimination et de construction identitaire de toute la population ».

La première enquête TeO a ouvert la voie à d'autres enquêtes mobilisant statistiques ethniques et ethno-raciales, notamment l'enquête « Accès aux droits » du Défenseur des droits en 2016.

L'introduction d'une variable ethno-raciale dans la production des statistiques publiques ?

Ces deux enquêtes posent la question de l'intégration d'une variable ethno-raciale dans la production des statistiques.

Cette variable pourrait comprendre des questions relatives à la couleur de peau, avec une liste de catégories : blanc, noir, asiatique, arabe, sur un modèle déjà pratiqué aux États-Unis et au Royaume-Uni. Ce type de question est cependant assez complexe, car cela dépend de la manière dont la personne questionnée se perçoit, avec une double identification possible en cas de métissage par exemple.

Aujourd'hui le recensement permet de différencier la nationalité de naissance des personnes de celle par acquisition. Il permet également de connaître le lieu et le pays de naissance. Ces chiffres permettent d'avoir des informations sur la population immigrée ou d'origine immigrée et de donner des indications sur les flux d'immigration en France, de donner de chiffres clefs sur les personnes immigrées et d'étudier les inégalités ou la « discrimination statistique » sur le marché du travail des immigrés et de leurs descendants selon leurs origines.

L'état actuel du débat

La question de la production de statistiques ethno-raciales suscite toujours aujourd'hui de vifs débats. Pour le chercheur François Héran : « La discrimination raciale n'est pas soluble dans l'inégalité sociale, elle s'y ajoute ». Le refus de l'utilisation de ces statistiques revient, pour certains chercheurs, à « invisibiliser la question de la 'race', celle-ci étant entendue comme une construction sociale, non pas comme une réalité biologique et culturelle » (Patrick Simon).

De façon très actuelle, la production de statistiques ethno-raciales a permis aux chercheurs britanniques d'observer la surmortalité des minorités ethniques en Grande-Bretagne lors de la crise de la Covid-19. Une question qui s'est également posée en France, au vu de la surmortalité observée en Seine-Saint-Denis, mais l'absence de données précises n'a pas permis de formuler autre chose que des hypothèses pour observer le phénomène.

De manière tout aussi actuelle, la production de statistiques ethniques pourrait s'avérer cruciale dans le cadre des débats autour des violences policières. Pour la chercheuse Christelle Hamel, la production de données statistiques ethno-raciales est essentielle aujourd'hui au vu de la puissance que peuvent avoir les chiffres dans notre société et leur poids dans la construction des politiques publiques. Il pourrait s'agir d'un levier pour mettre en lumière des discriminations systémiques, et indirectes dans la société française, qui sont complexes à saisir et à appréhender.

Cependant la production de ce type de statistiques soulève des craintes quant aux potentielles dérives dont on pourrait faire usage. Une partie de syndicats de l'Insee s'y était opposée, en rappelant la construction d'un fichier de statistiques publiques lors de la Seconde guerre mondiale. SOS Racisme s'est également opposé à la production de ce type de statistiques en invoquant « le côté réducteur de ces catégories ». Le président Nicolas Sarkozy avait également voulu utiliser ces données pour la loi relative « à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile » de 2007.

Pour la chercheuse Christelle Hamel, la production de données statistiques ethno-raciales est essentielle aujourd'hui au vu de la puissance que peuvent avoir les chiffres dans notre société et leur poids dans la construction des politiques publiques. Il pourrait s'agir d'un levier pour mettre en lumière des discriminations systémiques, et indirectes dans la société française, qui sont complexes à saisir et à appréhender.

Pour aller plus loin...

[Enquête] sur l'accès aux droits Volume 1 Relations police/population : Le cas des contrôles d'identité

Enquête "Accès aux droits", Défenseur des droits, 2016

Poids : 421.98 Ko
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Pourquoi l'enquête statistique TeO est-elle au centre d'une polémique lors de son lancement en 2007?

Patrick Simon, socio-démographe à l'Ined, "Pourquoi l'enquête statistique TeO est-elle au centre d'une polémique lors de son lancement en 2007 ?"

Qu’est-ce que l'enquête TeO2 ?