Loin des idées reçues, ces jeunes "du coin" développent une vision du monde riche et complexe, façonnée par leur environnement local et leur expérience de l'espace. Nous plongerons au cœur de leur "géographicité", concept clé de l'étude, pour comprendre comment leur ancrage territorial influence leurs perspectives et leurs aspirations. Elle met en évidence : comment les inégalités territoriales, les orientations subies et l'expérience de l'internat façonnent leur rapport au monde, et comment ces éléments peuvent être pris en compte pour mieux accompagner ces jeunes dans leurs parcours.

  • Inégalités territoriales - Orientations subies 

Une récente étude publiée dans Géographie et cultures met en lumière l'influence profonde de l'ancrage local et des expériences spatiales spécifiques des élèves de lycée professionnel en Hauts de France sur leur vision du monde. Loin d'être isolés, ces jeunes "du coin" développent des rapports au monde riches et complexes, façonnés par leur environnement immédiat et leur perception de l'espace, une dimension souvent négligée de leur scolarité. 

La trajectoire d'orientation de ces élèves se caractérise par une forte proximité territoriale, où les opportunités de formation sont souvent circonscrites par les limites géographiques de leur environnement immédiat. Des contraintes matérielles ou des préférences individuelles peuvent ainsi freiner leur mobilité dans la construction de leur projet d'études. 

Par ailleurs, l'expérience de l'internat, au-delà d'une simple solution logistique, se révèle être un lieu de socialisation intense pour les jeunes pensionnaires. Ce cadre de vie communautaire et rapproché exerce une influence significative sur la construction de leurs identités sociales et leur rapport au monde extérieur. 

  • Horizons des jeunes en formation professionnelle 

L'article de Pierre Colin explore les "Rapports au monde des lycéennes et lycéens professionnels du coin" en adoptant une perspective géographique nouvelle. Il met en évidence que pour ces jeunes, souvent issus des classes populaires et profondément liés à leur territoire, l'appréhension du monde ne se fait pas de manière abstraite, mais bien à partir de leur expérience concrète et de leurs interactions au sein de leurs "espaces vécus". 

  • Espace et vision du monde des lycéen(ne)s professionnels : le concept de "géographicité" 

L'auteur introduit le concept de "géographicité" pour analyser la relation singulière des lycéens(ne)s professionnels à l'espace. Il ne s'agit pas d'une simple localisation, mais d'une manière spécifique de se situer et d'interpréter le monde à travers leur environnement immédiat. Leurs discours révèlent des perceptions et des frontières subjectives, notamment à travers l'usage des termes "ici" et "là-bas", qui structurent leur rapport au monde.

L'exemple de Florian, excluant le lycée périphérique de son "ici", et celui de Léa, ancrant son "ici" dans son quartier populaire, illustrent cette idée. L'auteur souligne que l'espace et le rapport à l'espace sont constitutifs de l'identité individuelle.

Ainsi, leur rapport au monde est structuré par un "espace vécu", qui englobe leurs pratiques quotidiennes, leurs lieux de vie et les espaces sociaux où se tissent leurs interactions. 

  • Ancrage local, horizons inégaux 

L'étude met en évidence la prépondérance de l'ancrage local comme un facteur structurant dans la construction du rapport au monde des élèves de lycée professionnel. Souvent qualifiés de "filles et gars du coin", ces jeunes développent une perspective intrinsèquement liée à leur environnement quotidien, leurs interactions sociales immédiates et leur familiarité avec le territoire. Cette vision "du bas", forgée au sein de leur localité, s'avère fondamentale pour appréhender leurs représentations du monde et leurs formes d'engagement. 

Parallèlement à cet enracinement territorial, l'article explore la notion de frontières en tant qu'objet géographique révélateur de leurs interactions avec le monde. Les témoignages des élèves révèlent une conscience, même rudimentaire, de la circulation des savoirs et de l'influence du traitement médiatique sur leur perception des limites spatiales et conceptuelles. Ainsi, malgré un ancrage local prégnant, leur vision du monde n'est pas imperméable aux dynamiques globales, bien que leur point de départ et leur filtre d'analyse demeurent ancrés dans leur expérience locale. 

L'auteur insiste sur la profondeur de cet ancrage spatial, fortement déterminé par le poids des liens sociaux qui confèrent une dimension affective significative à leur "ici". Face aux projections dans le futur, l'entourage proche joue un rôle prépondérant dans leurs représentations et leurs aspirations. L'étude révèle une disparité notable selon l'origine sociale : les élèves issus de milieux favorisés se montrent plus enclins à envisager des perspectives "d'ailleurs", tandis que ceux provenant de milieux moins privilégiés manifestent un rapport au monde plus restreint, davantage centré sur leur "ici fondamental". 

Enfin, l'étude souligne la nature évolutive de ces géographicités au gré des expériences vécues par les individus. Ces dernières, qu'elles soient personnelles, scolaires ou professionnelles, permettent une appropriation progressive des espaces en les intégrant à leurs propres réalités et en élargissant ainsi leur horizon de compréhension du monde. 

  • Ouvrir les horizons : défis et opportunités pour l'accompagnement

Au moment où de nombreuses communautés éducatives souhaitent renforcer leur intervention et leur maillage en faveur des 16-25 ans pour limiter les ruptures de parcours, ces apports sont particulièrement intéressants pour déconstruire à la fois les notions d’ambition scolaire, d’autocensure mais également repenser les mesures d’accompagnement auprès de ces jeunes adultes.  

La question soulevée par l’auteur« Cette relation au coin interroge pour ces jeunes qui sont d’une part ultra-connectés et d’autre parts mobiles : L’ailleurs leur paraît-il inaccessible ou la relation au coin est-elle trop intense pour être dépassé ?» mérite d’être débattue avec l’ensemble des acteurs mobilisés en faveur de la réussite scolaire. Elle nous semble alimenter les prémices d’un travail ambitieux à engager auprès des jeunes issus des QPV autour de leur(s) parcours et de leur(s) projection(s). Les choix faits pour s’orienter et les nombreux accompagnements scolaires, éducatifs…auraient dans cette perspective toute leur place.

Information régionale [2]
Lundi 28 avril 2025 - 14:15
Région Hauts de France [5]
Publié le 28 avril 2025