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Lutter contre les ségrégations scolaires : ce que nous apprennent les expériences nationales et internationales

Le réseau RECI, Ressources pour l’égalité des chances et l’intégration, dont l'IREV est membre, a pour vocation de produire des ressources pour aider à la compréhension et à la mise en œuvre des politiques publiques en matière d’intégration, de lutte contre les discriminations et d’égalité des chances.

Le 30 janvier 2020 le réseau RECI a organisé un séminaire fermé : La prévention des discriminations ethno-raciales dans le champ scolaire. Vous pouvez retrouver la synthèse ici. Afin d’approfondir les réflexions abordées lors de ce séminaire, le réseau RECI a mené un travail de benchmark sur des expériences nationales et internationales pour lutter contre les processus de discriminations ethno-raciales dans le champ scolaire. Ces réflexions ont pour but de relever des initiatives afin de dégager des leviers d’actions pour lutter contre les discriminations ethno-raciales.

Lors de cette journée, la chercheuse Barbara Fouquet-Chaupadre a relevé que les phénomènes de ségrégations scolaires étaient susceptibles de mettre en jeu des processus de discriminations à caractère ethno-raciales d’ordre systémiques.

Pour contrer ces phénomènes, il s’agirait de mettre en œuvre des politiques de lutte contre les formes de ségrégations scolaires.

Ce travail porte uniquement sur les pratiques dont les intentions sont de lutter contre les formes de ségrégations scolaires, et non contre ses effets.

Qu’est-ce que la ségrégation scolaire ?

La ségrégation scolaire renvoie à un processus de séparation des individus, choisi ou subi, qui bouleverse la composition des établissements.

 

La ségrégation scolaire est un état et un processus de séparation physique, sociale, et symbolique de populations d’élèves en fonction de caractéristiques qui relèvent soit des populations elles-mêmes, soit des contextes locaux.

Jean-Paul Payet, sociologue de l'éducation

 

En sociologie urbaine, la notion de ségrégation est utilisée pour désigner la concentration et la séparation de certains groupes sociaux, résultant de causes indépendantes de leur volonté et auxquelles sont associées des conséquences négatives pour les individus.

Dans l’environnement scolaire, des processus de différenciation vont s’opérer selon les types et filières d’enseignement, entre établissements proposant une offre de formation identique, voire au sein même d’un établissement scolaire avec le jeu des options.

Les ségrégations scolaires sont protéiformes et il est possible des les aborder de plusieurs manières. On peut ainsi évoquer la ségrégation académique (c’est-à-dire la ségrégation des élèves selon leur niveau de compétences scolaires), la ségrégation sexuée, qui désigne l’inégale répartition des filles et des garçons dans les filières scolaires via une approche genrée, la ségrégation sociale etc.

Les études PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) et les travaux du CNESCO (Conseil national d'évaluation du système scolaire) portant sur la mixité sociale, scolaire et ethnoculturelle à l’école dénoncent l’absence « d’un appareil statistique national capable de renseigner les citoyens sur l’ampleur du séparatisme qui marque notre système scolaire » (CNESCO 2015). Un manque de données qui pénalise la mise en place de politiques publiques de lutte contre les phénomènes de ségrégations scolaires.

Ségrégations ethniques

Les conséquences de la ségrégation sociale, c’est-à-dire l’absence de mixité sociale, sont souvent dénoncées. Cependant la ségrégation ethnique reste encore taboue.

La ségrégation ethnique désigne la concentration des populations immigrées ou d’enfants d’immigrés dans les banlieues et quartiers populaires. Elle affecte également significativement certains établissements scolaires avec une concentration massive d’élèves allochtones.

Les différentes formes de ségrégations scolaires citées précédemment sont cumulatives et dépendantes. Elles viennent aggraver et creuser les inégalités scolaires en renforçant des situations de handicap.

Elles engendrent un accès restreint aux biens scolaires, qui se mesurent de manière classique par l’accès aux diplômes, les orientations et par les acquis scolaires.

Le chercheur Georges Felouzis montre que les collèges les plus ségrégés d’un point de vue ethnique le sont aussi socialement et scolairement.

Les stratégies d'évitement scolaire

Les phénomènes de ségrégations scolaires sont pour part la résultante des stratégies des familles. Le chercheur Pierre Merle évoque à ce propos une « ségrégation par le haut », qui permettrait la scolarisation au sein d’un même établissement des élèves issus des catégories sociales favorisées. Il s’agit de la tendance consistant à fuir les établissements d’affection. Cette fuite tient au poids des stéréotypes propres à certaines catégories. Un « effet repoussoir » qui peut être alimenté par une variable ethnique et conditionner les comportements de fuite.

Ségrégation ethnique et inégalités scolaires

Les taux de ségrégation sont bien plus importants en fonction de l’origine ethnique qu’en fonction de l’origine sociale ou du retard scolaire.

La ségrégation produit et renforce les inégalités car les établissements les plus ségrégés n’offrent pas les mêmes opportunités d’apprentissage aux élèves que les autres établissements.

Le contexte d’apprentissage créé par un niveau scolaire faible en moyenne génère des progressions scolaires elles aussi plus faibles. Les enseignants moduleraient leur enseignement en fonction du niveau scolaire, réel ou supposé, de leurs élèves. De fait, l’enseignement est moins intensif, le rythme est moins soutenu et les objectifs sont plus modestes.

Il y a un turn-over des enseignants plus important dans les écoles les plus ségréguées, avec des enseignants débutants ou peu expérimentés, voire moins diplômés que les autres.

Les écoles ségréguées se caractérisent également par un climat scolaire décrit comme difficile à la fois par les élèves comme par les enseignants, avec une proportion importante de violences scolaires et d’incivilités, voire quotidiennes.

Une discrimination systémique

Le cumul des mécanismes : stratégies d’établissements, politiques de peuplement, et les choix familiaux conduisent à produire une ségrégation massive à l’égard de certaines minorités, regroupées massivement voire exclusivement dans certains établissements.

Afin de lutter contre les ségrégations ethno-raciales en milieu scolaire, plusieurs expérimentations éclairantes ont été menées en France et à l’international.

Expérimentations

« Le regroupement pédagogique éclaté »

Cette initiative a eu lieu dans le quartier de La Catte à Bergerac, un territoire enclavé, peu attractif et très ségrégué, la cité construite en 1963 était habitée majoritairement de familles immigrées essentiellement originaires du Maroc. L’école du quartier accueillait 103 élèves dont 83% d’origine étrangère, avec un niveau scolaire très bas.

Le ramassage scolaire a été mis en place en 1995, suite à la fermeture de l’école du quartier, pour répartir presque 200 enfants de la cité dans sept des neuf écoles primaires de Bergerac. Trois autocars étaient mobilisés pour un cout annuel de 80 000 euros.

Cette initiative s’est poursuivie jusqu’en 2010, les perspectives de rénovation urbaine, le coût de l’opération et les changements politiques ont stoppé l’initiative par la suite.

 

Une approche incitative à destination des familles

Les établissements « aimants »

A Cambridge, dans la banlieue de Boston aux Etats-Unis, une stratégie s’est développée pour améliorer l’attractivité des écoles situées dans des territoires relativement défavorisés. Il s’agit du principe des établissements aimants, dont le but est d’attribuer à un établissement situé dans un territoire socialement défavorisé, une offre éducative « atypique ». Le but est de développer une offre (méthode Montessori, programmes bilingues, spécialisation en mathématiques ou en sciences) susceptible d’attirer des familles aisées.

Cette stratégie est couplée à une méthode de choix contrôlée. Les parents sélectionnent les établissements qu’ils préfèrent, un logiciel prend ensuite en compte ce choix, ainsi que des objectifs de diversité socio-économique et une affection est ensuite déterminée. En principe, aucune école ne doit dépasser de plus de 15% la moyenne du district sur le taux d’élèves défavorisés parmi sa population.

 

Pédagogie innovante

A Mons-en-Barœul, dans le Nord de la France, une offre scolaire différente a été mise en place, basée sur un projet pédagogique relavant de la méthode Freinet. L’objectif de cette expérimentation était de lutter contre l’échec scolaire et les tensions quotidiennes qui impactaient le climat scolaire de l’école. Le projet, initié en 2001, a sensiblement modifié les résultats des élèves et a favorisé la réussite scolaire. Il a également permis d’attirer des familles extérieures au quartier et a impacté sensiblement la mixité scolaire de l’établissement.

Aujourd’hui l’école fonctionne toujours intégralement selon cette méthode, avec l’entièreté de l’équipe pédagogique formée aux techniques Freinet.

L’école primaire a également essaimé en direction du collège qui a mis en place une « filière » Freinet, avec une classe Freinet par niveau de la 6ème à la 3ème, et un lycée voisin dispose maintenant d’une classe à pédagogie Freinet en seconde.

La mixité sociale produite par le projet, si elle est un effet positif, n’était pas l’objectif principal de la démarche. Ainsi l’école a souhaité maintenir un public d’accueil essentiellement issu du quartier et ont en conséquence limité à 10% le nombre d’élèves relevant d’autres secteurs.

 

Contrer les logiques concurrentielles par la multi-sectorisation

Il s’agit de l’expérimentation de secteurs multi-collèges à Paris dans les 18ème et 19ème arrondissements.

En 2017, le Conseil de Paris a voté la création de trois secteurs bi-collèges dans ces deux arrondissements. Un secteur multi-collège consiste à définir un secteur commun à plusieurs collèges géographiquement proches mais présentant des compositions sociales contrastées afin de diversifier leur recrutement social.

Cette expérimentation a fait l’objet d’une évaluation publiée en février dernier dont les conclusions relèvent le caractère globalement positif de l’expérimentation sur la mixité sociale des établissements.

Pour aller plus loin retrouvez notre article sur l’expérimentation des secteurs multi-collèges.

 

Bonus-malus, une alternative aux politiques de sectorisation

En Haute-Garonne, et notamment à Toulouse, il a été observé une forte concentration d’élèves favorisés dans les collèges privés et une forte concentration d’élèves défavorisés dans les collèges publics.

Pour palier à ce phénomène, un système de bonus-malus a été mis en place. Les collèges qui feront un effort pour augmenter leur population d’élèves défavorisés verront leur dotation de fonctionnement versée par le conseil départemental augmenter, et dans le cas contraire, baisser. Ces volumes financiers ne concernent que les financements qui servent à réaliser des sorties culturelles ou des voyages scolaires, le montant forfaitaire annuel est de 54 euros par élèves.

En 2019, sur les 96 collèges publics de Haute-Garonne, 56 ont bénéficié d’un bonus, un seul collège a subi un malus, les 39 restant n’ont pas vu leur dotation évoluer.

Dans le privé la proportion est inverse, sur les 21 collèges, 16 ont perdu de 6 à 10 euros par élève, un seul a bénéficié d’un bonus et quatre ont continué à percevoir les dotations habituelles.

Conclusions

En conclusion de ce travail de benchmark, il est possible de souligner que les expériences qui visent à lutter contre les phénomènes de ségrégations scolaires sont relativement faibles.

Alors même que nombre de métropoles affichent une ségrégation scolaire inquiétante, ce phénomène reste peu reconnu institutionnellement.

De plus, les expérimentations menées sont bien souvent territorialisées et éphémères, et souffrent de l’absence d’une conduite nationale en la matière, afin de guider et de fédérer les efforts en matière de déségrégation.

Cependant ces différentes expériences permettent de dégager quelques leviers d’actions :

  • Agir sur les stratégies individuelles des familles en intégrant les familles à la démarche afin de contrebalancer les stéréotypes installés et les phénomènes d'évitements scolaires
  • Inclure les établissements privés dans les stratégies de déségrégation
  • Repenser l’attractivité des établissements dans les contextes les plus défavorisés
  • Associer les acteurs du logement et interroger les stratégies de peuplement pour limiter la ségrégation urbaine

Pour produire des effets, il est nécessaire que ces démarches soient associées à une réflexion globale et une volonté politique durable de lutte contre les ségrégations ethno-raciales dans le champ scolaire.

Pour aller plus loin

Benchmark : Lutter contre les ségrégations scolaires, ce que nous apprennent les expériences nationales et internationales

Synthèse du séminaire : Prévenir des discriminations ethno-raciales dans le champ scolaire

Résultats 2018 du Programme International pour le Suivi des Acquis des élèves (PISA), cas français

Inégalités scolaires et politiques d'éducation : Comment l'école amplifie les inégalités sociales et migratoires ? CNESCO