Cette démarche a été évaluée par l’Institut des politiques publiques (Ipp) qui a rendu un rapport le 25 février 2021. Ce rapport a été co-dirigé par deux chercheurs : Julien Grenet, chercheur au CNRS et à l’Ecole d’économie de Paris, et Youssef Souidi, doctorant à l'EHESS et à l'Ecole d'économie de Paris.
L’expérimentation est saluée comme une réussite : elle a permis de réduire l’échappée des élèves dans le privé et d’améliorer la mixité sociale.
Le dispositif des multi-collèges
L’expérimentation du dispositif part du constat que les collèges parisiens apparaissent comme les plus ségrégés de France, devant les collèges des académies de Versailles et de Lille.
Alors que seulement 16% des collégiens parisiens sont issus de catégories socio-professionnelles défavorisées, (c’est-à-dire dire enfants d’ouvriers de personne sans activité professionnelle), la proportion varie de 0% dans le collège le plus favorisés à 61% dans le collège le plus défavorisé.
De plus en plus de parents scolarisent leurs enfants dans des établissements privés afin d’éviter les collèges « ghettos ». A Paris dans les années 2000, 29% des collégiens étaient scolarisés dans des établissements privés, aujourd'hui ce chiffre est de 35%.
Ces phénomènes de ségrégations scolaires sont dus d’une part aux différences de composition sociale entre les secteurs des collèges publics, mais aussi pour moitié aux phénomènes de départ dans des établissements privés d’une partie des élèves issus des catégories sociales très favorisées.
Le dispositif de « multi-collèges » a été conçu pour remédier à ces disparités et comme une piste de réflexion pour renforcer la mixité sociale au sein des collèges de la capitale.
L’expérimentation a concerné 3 secteurs impliquant 6 établissements des 18ème et 19ème arrondissements de Paris.
L’expérimentation s’est basée sur deux méthodes :
- La méthode de la « montée alternée ». Cette méthode fonctionne dans le cas d’un secteur multi-collèges à deux établissements. Elle consiste à affecter tous les élèves entrant en 6ème d’un même secteur dans un seul des deux établissements. L’année suivante, toutes les entrées en 6ème seront affectées au second collège de secteur. Dans le cas de l'expérimentation, en raison des effectifs, l'un des deux collèges accueillaient les élèves de 6ème et de 4ème, tandis que le second acceuillaient les élèves de 5ème et de 3ème.
- La méthode de « choix régulé », qui a concerné deux collèges du 19ème arrondissement. Les familles émettent des vœux pour l’un ou l’autre des établissements, et leur enfant est ensuite affecté en fonction de la préférence des familles, en veillant à équilibrer la composition sociale des deux collèges grâce au quotient familial des familles, ou à la catégorie socio-professionnelle des parents.
Un bilan positif des trois premières années d’expérimentation
Sur les trois secteurs en expérimentation, deux des trois secteurs ont atteint leurs objectifs.
Les résultats ont été plus contrastés pour le troisième secteur, qui suivait la méthode de « choix régulés ». Mais les résultats se sont améliorés à la rentrée 2019. Le bilan plus contrasté du deuxième binôme, constitué de deux collèges REP, s’explique par un phénomène d’évitement massif vers les établissements privés (pré-existant à l’expérimentation) et d’une forme d’asymétrie dans l’offre de formation des deux établissements qui a empêché d’atteindre les objectifs de mixité. Des leviers ont été conçus pour dépasser ces freins, comme le développement d’une offre de théâtre spécifique au collège le plus évité, mais cette idée est encore à l’étude.
L’autre collège qui suivait la méthode de choix régulé a montré un bilan positif. Alors qu’au cours de la période 2011-2016, entre 35 et 40 % des parents domiciliés dans ce secteur faisaient le choix du privé à l’entrée en 6ème, cette proportion est tombée à 25 % à la rentrée 2017. La part des élèves très favorisés s’est aussi rééquilibrée : en 2016, elle était de 19 % à dans le premier collège, contre 28 % dans le deuxième collège ; en 2019, elle était de 26 % dans les deux collèges.
Concernant l’autre méthode, dite de « montée alternée », elle apparait comme la méthode la plus efficace (bien que plus complexe que la première à mettre en œuvre). Avant l’expérimentation, le premier collège comptait 50 % d’élèves défavorisés et le second collège 10 %, chacun accueille désormais environ 25 à 30 % d’élèves défavorisés, faisant ainsi progresser la mixité sociale. Par ailleurs, le taux d’évitement vers le privé est passé de 24 % en 2016 à 16 % en 2019.
De plus, la mixité sociale observée en 6ème est restée stable à mesure que les élèves ont progressé vers les niveaux supérieurs, les parents ont donc joué le jeu et n’ont pas réaffecté leurs enfants dans le privé. Le dispositif a suscité des réticences au départ chez les parents d’élèves favorisés ou très favorisés mais les parents ont été rassurés ensuite.
L’utilité des secteurs multi-collèges
La mise en place de secteurs multi-collèges peut s’avérer particulièrement pertinente à certaines conditions :
Les secteurs multi-collèges constituent une piste sérieuse pour favoriser la mixité sociale dans l’enseignement secondaire public lorsque, comme c’est le cas à Paris, la densité de population est suffisamment importante et le tissu urbain suffisamment diversifié pour que l’élargissement des secteurs de recrutement des collèges contribue au brassage social des publics scolaires. En France, ce type de configuration se rencontre fréquemment dans les grandes agglomérations urbaines. Des villes comme Bordeaux, Lille, Marseille ou Toulouse sont en effet traversées par des frontières sociales très marquées au sein de leur espace urbain.
Il s’agit alors d’un véritable avantage lorsque cette mixité sociale peut se mettre en place. L’expérimentation des secteurs multi-collèges va être poursuivie par l’étude de l’impact d’une plus grande mixité sociale sur la réussite des élèves comparativement à ceux qui ont connu le système d’affectation antérieur. Ce dispositif suscite un certain nombre d’espoirs sur les trajectoires scolaires des élèves les plus défavorisés quant à leurs possibilités en matière d’orientation.
Travailler sur la mixité sociale dans les établissements apparaît comme nécessaire pour lutter contre l’entre-soi scolaire et social :
Une proportion significative de nos meilleurs élèves a été très tôt scolarisée, parfois dès le primaire et presque toujours à partir du collège, dans un entre-soi à la fois scolaire et social. Les sociologues de la jeunesse nous disent aussi que les enfants des classes populaires et ceux des classes les plus privilégiées ne se rencontrent que très peu dans leurs loisirs, socialement très différenciés. Il y a ainsi une forte probabilité pour que les 21 % des élèves qui vont intégrer les filières les plus sélectives de notre enseignement supérieur n’aient que très rarement eu l’occasion de rencontrer au cours de leur enfance et de leur adolescence les 20 % ou 30 % les plus faibles. […] L’école massifiée a échoué à assurer la mixité sociale que les pionniers de l’école unique avaient appelée de leurs vœux.
Leviers d’action contre l’évitement des établissements publics
Le rapport propose également quelques pistes d’action contre les phénomènes d’évitement de l’offre scolaire publique au profit du privé.
Il s’agit de proposer des mécanismes incitatifs aux familles afin qu’elles trouvent un avantage direct à maintenir leur enfant dans le secteur public. Il peut s’agir par exemple d’une offre originale dans la carte scolaire (danse, musique, théâtre ou autres options).
Il s’agit également de convaincre les parents les plus favorisés de l’utilité de ce dispositif.
De plus le rapport pointe que : « Le renforcement de la mixité sociale dans les collèges parisiens ne peut notamment faire l’économie d’une réflexion sur les moyens d’associer l’enseignement privé à cette démarche ».
L’un des obstacles à la réalisation de la mixité sociale à Paris, mais aussi sur le reste du territoire français, réside dans l’enseignement privé. Ces établissements sont subventionnés à hauteur de 75% par l’Etat et les collectivités territoriales. Une piste de réflexion consisterait à moduler les dotations de fonctionnement de ces établissements privés en fonction d’un objectif de mixité sociale. Une mesure qui a déjà été mise en place par le département de la Haute-Garonne en 2017, où les collèges privés se voient attribuer un système de bonus/malus en fonction de la proportion d’élèves de CSP défavorisés qu’ils accueillent.