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Pauvreté et discriminations : le Défenseur des droits propose un éclairage sur le critère de la particulière vulnérabilité économique

La particulière vulnérabilité économique a été reconnue comme le 21ème critère de discrimination en 2016. Six ans après, où en est-on de sa mobilisation ? Le Défenseur des droits propose une synthèse de la recherche : "la particulière vulnérabilité économique, éclairages sociologiques en vue d’une meilleure appréhension par le droit de la non-discrimination". Cette publication datant de février 2023 peut s'avérer utile pour appréhender les discriminations systémiques dont les habitant.es des quartiers Politique de la ville peuvent être victimes.

Le Défenseur des droits est une institution indépendante qui intervient sur différents domaines dont la lutte contre les discriminations et la promotion de l'égalité. Cette institution propose à la fois :

En février 2023, le Defenseur des droits a publié une synthèse de la recherche : "La particulière vulnérabilité économique (PVE), éclairages sociologiques en vue d’une meilleure appréhension par le droit de la non-discrimination". Cette recherche menée entre décembre 2019 et mars 2022 met en lumière les enjeux et les facteurs de la faible mobilisation contentieuse et non contentieuse de ce critère reconnu en droit français en 2016. Souvent perçue comme flou et inopérante, la recherche a le mérite de proposer une conception objectivée de la PVE.

Cette recherche, par l'éclairage qu'elle apporte sur le critère de la particulière vulnérabilité économique, permet d'illustrer le caractère systémique des discriminations subies par les habitantes et habitants des quartiers. Ce critère est souvent cumulé à celui de l'origine, de l'adresse, du handicap... Le critère de la PVE apparait dans cette recherche comme propice au développement du concept de discriminations multiples ou systémiques en droit français.

Rappel sur la reconnaissance de la particulière vulnérabilité économique (PVE) comme 21ème critère de discrimination, en 2016

En droit, une discrimination est un traitement défavorable qui doit remplir deux conditions cumulatives : être fondé sur un critère défini par la loi (sexe, âge, handicap…) et relever d'une situation visée par la loi (accès à un emploi, un service, un logement…). À ce jour, la loi reconnait 25 critères de discrimination. La PVE est le 21ème critère de discrimination reconnu par la loi.

En 2013, un rapport de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale "Penser l’assistance" soulignait « qu’une littérature abondante a analysé les comportements discriminatoires de certains employeurs par rapport au lieu d’habitation ou à l’origine ethnique des candidats. On peut penser que le fait de percevoir des prestations d’assistance aboutit au même type de signalement ».

En octobre 2013, ATD Quart Monde et ISM-Corum ont publié un livre blanc « On n’est pas traité comme tout le monde. Discrimination et pauvreté : analyse, testing et recommandations ». Les résultats des testings soulignaient :

  • concernant l'emploi : une personne en précarité faisant apparaître sur son CV une période de travail en entreprise d’insertion ou comme domicile un foyer d’hébergement a moins de chance d’obtenir un entretien d’embauche. Ainsi, un candidat porteur de ces signaux de précarité, toutes choses égales par ailleurs, a 30% de chances de moins d’obtenir un entretien d’embauche
  • concernant l'accès au logement :  les bénéficiaires de minimas sociaux peuvent avoir du mal à accéder aux logements sociaux
  • concernant la santé : les bénéficiaires de la CMU-C sont parfois victimes de refus de soins

Ces différentes discriminations maintiennent des personnes dans la pauvreté.

Dans la continuité de ces différentes publications, la PVE a été consacrée par la loi n° 2016-832 du 24 juin 2016 visant à lutter contre la discrimination à raison de la précarité sociale.

"La particulière vulnérabilité économique, éclairages sociologiques en vue d’une meilleure appréhension par le droit de la non-discrimination"une recherche soutenue par le Défenseur des droits

En 2020, le Défenseur des droits a lancé un appel à projets de recherche pour étudier ce critère. A travers un travail interdisciplinaire, Delphine Neven (Université Grenoble Alpes, CRJ et Odenore), Christine Olm (Vizget), Héléna Revil (Université Grenoble Alpes, dir. scientifique de l’Odenore), Robin Médard Inghilterra (Université libre de Bruxelles, centre Perelman), Serge Slama (Université Grenoble Alpes, CRJ) et Julie Arroyo (Université Grenoble Alpes), ont articulé une approche juridique et sociologique.

Une approche juridique analysant les travaux préparatoires de la loi du 24 juin 2016

Dans les débats parlementaires, ce critère a été mentionné comme "une notion imparfaitement définie et à la traduction juridique malaisée" et "une notion subjective qui regroupe une grande diversité de situations qu’il n’appartient [...] pas au juge pénal de définir mais bien au législateur". Le critère de l’origine sociale a été écarté au motif de son caractère « étroit et peu opératoire » et parce que « concevoir la situation économique et sociale à raison de la naissance semble contrevenir à la dynamique de la mobilité sociale ».

Le choix de consacrer dans la loi française le critère de « la particulière vulnérabilité résultant de la situation économique, apparente ou connue de son auteur » a été guidé par la volonté :

  • de ne pas adopter une notion exclusivement subjective (rejet du critère de la précarité sociale) ;
  • d’adopter une notion renvoyant à une situation actuelle, et non pas à quelque chose « d’hérité » (rejet du critère de l’origine sociale ) ;
  • d’adopter une notion renvoyant à une ou plusieurs réalités précises (rejet du critère de la précarité sociale) ;
  • d’adopter un critère tenant compte du caractère « extérieur » de la pauvreté par rapport à la personne (rejet du critère du bénéfice d’une prestation sociale )

Ainsi, les débats parlementaires préalables à la loi du 24 juin 2016 permettent bien plus d'identifier "ce à quoi elle (la PVE) ne renvoie pas que ce qu'il la caractérise".

Une approche sociologique mobilisant une enquête qualitative conduite auprès d’acteurs de terrain du monde sanitaire et social

Cette recherche relève la faible mobilisation de ce critère en pratique et propose quelques facteurs explicatifs issus des échanges avec les acteurs de terrain notamment :

  • la complexité à définir l'expression de PVE comme le démontre les débats parlementaires
  • la difficile appropriation de ce critère par les acteurs de terrain : pour une majorité ce critère est à appréhender bien plus sous l'angle d'un système politique et économique que de manière individuel
  • une difficulté accrue à en apporter la preuve, des freins administratifs et matériels : absence de domiciliation administrative, impossibilité d'accès aux outils informatiques et numériques (à noter que ces freins ne sont pas propres à ce critère)
  • des conceptions de la PVE plurielles qui ne recoupent pas toujours sa conception juridique initiale : les acteurs n'utilisent que très peu l'expression PVE, ils mobilisent à la place " grande pauvreté" ; "grande précarité". Ils caractérisent cette grande pauvreté et précarité par la complexité des situations dans lequelles s’entremêlent : l'absence ou l'insuffisance de ressources financières, des problématiques de domiciliation, de papiers, d'accès au logement, de maîtrise du français, d’accès à internet pour des démarches administratives, l'absence de liens sociaux ou de communautés d’appartenance. Ces difficultés se caractérisent également pour les acteurs par leur inscription dans la durée et les stigmatisations qu'elles engendrent.

Une conception qui se dessine à partir des premières décisions du Défenseur des Droits et de l'enquête "accès aux droits"

Le Défenseur des droits a eu l’occasion de se prononcer sur des cas de potentielles discriminations fondées sur la particulière vulnérabilité résultant de la situation économique des personnes. Ces décisions permettent de dégager " les contours d’une conception plutôt objective, ou pour le moins objectivable, de la PVE". En effet, dans toutes ces décisions, c’est un élément objectif qui a amené le Défenseur des droits à conclure à l’existence d’une situation de PVE par exemple le fait : 

  • d’être hébergé en hôtel social,
  • de bénéficier de la Couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) ou de l’Aide à l’acquisition d’une complémentaire santé (ACS),
  • d’être titulaire d’une domiciliation bancaire auprès d’un établissement bancaire particulier.

Indirectement, ces éléments peuvent suggérer des signaux de faibles ressources.

Par ailleurs, la recherche propose de caractériser également la PVE à partir des données de l'enquête « Accès aux droits » de 2017 avec un choix fait par les chercheurs parmi les variables disponibles :

  • emploi précaire ou au chômage
  • difficultés à trouver des informations sur internet et à résoudre les problèmes administratifs pour les démarches
  • difficultés financières perçues (" s'en sort difficilement ou en s’endettant")
  • renoncement aux soins
  • résidence dans un quartier en Politique de la ville,"cité ou grand ensemble"
  • rencontre avec un travailleur social

L'intégration du cumul de difficultés au sein du critère PVE

Les différentes conceptions de la PVE font référence aux difficultés multiples liées au manque de ressources financières. L'enquête accès aux droits souligne que les personnes concernées par critère de la PVE sont fréquemment en situation de handicap (42%) ou d'origine étrangère (19%). 

L'analyse des résultats de l'enquête accès aux droits révèle que se trouver en situation de PVE accroît la probabilité de s'être senti discriminé sur le fondement d'un autre critère au cours des 5 dernières années.

Le critère de la PVE est ainsi source de discriminations multiples.

Sélection de pistes développées dans la recherche pour faciliter la mobilisation du critère de la PVE

  • Mettre en oeuvre une enquête auprès des premier.es concerné.es pour aller plus loin notamment sur l'appréhension qualitative de ces vécus discriminatoires
  • Faire un usage modéré  de ce critère dans un premiers temps, en effet la mobilisation de ce critère " ne constitue pas nécessairement la solution la plus adaptée aux besoins des victimes en présence d'autres critères de discrimination"
  • Mobiliser les notions de discriminations systémiques et/ou de discriminations multiples : la PVE semble propice au développement en droit français de la notion de discriminations multiples
  • S'inspirer de l'interprétation québecquoise de la condition sociale. Au Québec, la loi ne définit pas spéciquement ce critère. C’est la jurisprudence qui définit cette notion à partir de deux éléments :

"Un élément objectif : le rang, la place ou le traitement réservé à une personne dans sa communauté qui varie en fonction de son occupation, de son revenu, de son niveau d'instruction ou encore des circonstances entourant sa naissance ; 

Un élément subjectif : le statut des individus, la valeur qu’on leur attribue en fonction des représentations sociales, des stéréotypes associés, notamment liés à leur éducation, leur occupation ou leur revenu ".

Pour les chercheurs, il est possible de considérer que, dans le cas du critère de la PVE, la particulière vulnérabilité découle d’un processus de stigmatisation « engendré » par la situation économique réelle ou supposée de la personne.

Publié le 22 février 2023